Les latrines...  

Georges était un garçon gentil. Mais alors, très gentil. Honnête et travailleur, mais un peu simple.

Il vivait en Louisiane, au bord du Mississipi. Ses parents possédaient une grande maison de style colonial. Dans le passé, elle était au centre d'une immense plantation de coton.

Aujourd'hui c'était fini. Ses parents étaient riches, certes, mais ils ne possédaient plus de champs de coton, ni d'esclaves pour les entretenir.

Georges ne regrettait qu'une seule chose. Être obligé de quitter la maison la maison pour aller aux latrines. En effet, la maison avec toute sa majesté n'était pas équipée de commodités. Un cabanon avec une porte percée d'un petit cœur trônait au fond du potager à côté du tas à compost, non loin du fleuve.

Vraiment cela gonflait Georges. Pourquoi son père n'avait-il jamais daigné faire installer l'eau courante et les toilettes à l'intérieur même de la maison.

Justement ce jour-là, Georges bêchait le potager. C'était par un chaud matin de printemps. Les cerisiers du voisin étaient en fleur, sauf la branche que le fils du voisin s'était amusé à couper avec sa scie toute neuve. Cela avait fait des histoires chez les voisins, mais le fils s'était dénoncé. Il avait été honnête, et son père ne lui en avait pas tenu rigueur.

Georges bêchait. Et il repassait dans sa tête toute cette rancœur. Quand il arrivait au bout de son sillon, il pouvait apercevoir derrière la haie, à côté du tas de fumier, le petit cabanon des latrines. Et ça, ça le rendait furieux.

Alors il reprenait son sillon et il partait dans l'autre sens en bêchant.

Quand il revenait dans l'autre sens, il voyait le cabanon. Il fulminait.


A la fin de la matinée, il avait tellement travaillé qu'il avait fini de bêcher tout son potager.
La bêche sur l'épaule, il s'apprêtait à rentrer à la maison. Il était dans un état de rage terrible en pensant aux latrines.

Comme il passait à côté du cabanon, il ne put plus se retenir. Il s'arquebouta sur la cabane, la fit basculer, et elle tomba dans le Mississipi. Elle flotta quelques instants en s'éloignant, puis coula.

* * *
* *

Le soir au dîner, Georges fut silencieux.

Son père et sa mère aussi.

Ils mangèrent la soupe en faisant grands bruits, mais sans parler.

Son père parla le premier.

- Dis-moi Georges, les latrines sont tombées dans le fleuve ce matin.

- Ah, Bon !!! Comment est-ce possible ?

- Je ne sais pas ! Notre voisin les a retrouvées au barrage.

- Pourtant il n'y a pas eu de tempête !

- Non, en effet. Mais dis moi, tu étais dans le potager ce matin. Tu n'as rien vu ?

- Oh, tu sais, quand je travaille, je ne fais pas trop attention à ce qui se passe autour de moi.

- Tiens donc ! Alors tu n'as rien vu, rien entendu...

- Non, papa. Rien de rien.

 

Ils continuèrent leur repas. Au dessert, le père rompit le silence à nouveau.

- Tu te rappelles l'incident du cerisier chez les voisins.

- Bien sûr; papa.

- Tu te rappelles, le fils du voisin avait été honnête. Il s'était dénoncé...

- C'est vrai papa...

- Et le voisin avait reconnu et admiré la franchise de son fils. Si bien qu'il ne l'a pas puni pour son acte. La droiture est toujours récompensée.

- C'est vrai papa...

- Alors, fils. Tu n'as rien à me dire ?

 

Georges réfléchit quelques instants. Allait-il s'accuser ? Allait-il révéler sa faute et reconnaître son acte auprès de son père. Son père était certes sévère, mais il reconnaîtrait la droiture de son fils.

- Pardon, papa. C'est moi qui ai poussé les latrines dans le Mississipi. Je pensais que cela t'inciterait à en faire construire dans la maison. Nous sommes suffisamment riches...

Le père toisa son fils. Il se leva, s'approcha de lui, et ... et, il lui envoya une terrible gifle qui souleva le garçon de sa chaise et l'envoya contre le buffet.

- Mais enfin, cria le fils, papa, pourquoi ??? Tu m'as bien fait comprendre que la franchise est toujours récompensée. Tu m'as rappelé l'histoire du voisin qui avait coupé la branche du cerisier...

- Je sais mon garçon, c'est exact, mais il y a une grande différence entre l'histoire du fils du voisin qui a coupé la branche du cerisier et toi Georges qui a jeté les latrines dans le fleuve...

- ... Laquelle ??...

- ... Quand le fils du voisin à coupé la branche du cerisier, son père n'était pas assis dessus.

 

 
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